Il y a encore un siècle, les mosquées étaient inexistantes en métropole. Depuis, de nombreuses mosquées y ont depuis vu le jour, comblant les besoins spirituels de la communauté musulmane en France et participant par leur architecture à l’embellissement de nos villes. Focus sur la Grande Mosquée de Strasbourg, l’un des fleurons de l’architecture islamique en France, en plein cœur de la capitale de l’Alsace.
Les musulmans en Alsace, une histoire ancienne
La présence des musulmans en Alsace remonterait aux années 1870. A cette époque, il s’agissait surtout de soldats issus de l’empire colonial français, les fameux Indigènes, qui participaient à la guerre franco-prussienne de 1870. Pareille présence est signalée par les historiens lors des deux guerres mondiales qui ont eu lieu entre 1914 et 1918, puis entre 1939 et 1945. A ce titre, une partie de l’Alsace est libérée de l’Allemagne nazie par des troupes originaires du Maghreb, comme en témoigne la toponymie des rues (rue du Régiment Marocains de Montagne, des Tirailleurs Algériens, etc.) ainsi que les nombreux cimetières militaires de la région.
Après la seconde guerre mondiale, plusieurs dizaines de milliers de musulmans participent à l’essor économique des Trente Glorieuses en Alsace. Ils viennent principalement du Maroc, de l’Algérie, ainsi que de Turquie. Certains travaillaient dans les mines, d’autres dans les usines. Petit à petit, une véritable communauté musulmane alsacienne est en train de voir le jour.
De la salle de prière à la Grande Mosquée
Au fil des années, les musulmans ressentirent le besoin de s’attacher à leur religion. Ainsi, la première mosquée de Strasbourg voit le jour dans un petit pavillon, rue des pêcheurs. Plusieurs mosquées et salles de prières ouvrent également dans les années 1980, aussi bien en centre-ville que dans la périphérie.
Rapidement, les locaux deviennent exigus, et les demandes croissantes de la population musulmane mêlées à celles de la société civile dans son ensemble, ont accéléré la réflexion sur la nécessité de construire une mosquée digne de ce nom. Dès la fin des années 1980, l’idée de la construction d’une grande mosquée circule tant à l’intérieur de la communauté musulmane que dans les couloirs de la municipalité. Cette idée fut transformée en projet par l’association gestionnaire d’une mosquée située en plein quartier des Halles, dans un ancien atelier de l’impasse de Mai.
Entre 1992 et 1993, Catherine Trautmann, alors maire de Strasbourg, visite la mosquée située impasse de Mai et défend l’idée d’une grande mosquée à Strasbourg. Il faut néanmoins attendre 1999 pour que le Conseil Municipal en approuve le principe, et l’année 2000 pour qu’un bail emphytéotique soit signé entre la Ville de Strasbourg et la Société Civile Immobilière Grande Mosquée (SCI Grande Mosquée). Après de long mois de tractations pour définir les contours du projet final, la première pierre est posée le 29 octobre 2004.
Le projet fut retardé pour des raisons d’agenda politique. Cependant, le chantier continua d’avancer et, le 27 novembre 2009, la coupole majestueuse fut posée. Ouverte à la pratique du culte pour le 1er jour du ramadan en 2011, elle fut inaugurée le 27 septembre 2012 par de nombreuses personnalités.
Aujourd’hui, ce sont plus de 2.000 fidèles qui se retrouvent chaque vendredi dans une ambiance fraternelle et chaleureuse, dans une mosquée digne de ce nom.
Un chef-d’œuvre architectural
Ce qui fait la beauté de cet édifice majestueux n’est pas tant l’effort humain et financier que le soin tout particulier qui a été donné pour conférer au bâtiment un caractère unique. En effet, Strasbourg étant une capitale européenne, les dirigeants de la mosquée ont voulu à travers ce projet marier différentes traditions artistiques et architecturales, allier le savoir ancestral aux techniques modernes, et réunir au sein d’un même lieu l’histoire du monde musulman à celle du terroir. Quoi de plus emblématique pour Strasbourg, ville cosmopolite par excellence, pont entre la France et l’Europe, tant au sens propre qu’au sens figuré, tant géographiquement que politiquement, que d’avoir une mosquée qui symbolise la symbiose et les ponts entre différentes cultures ?
Ainsi, un appel d’offre international a été lancé pour l’architecture du bâtiment selon un cahier des charges rigoureux, soucieux de cet esprit. De nombreuses personnalités du monde des architectes parmi les plus prestigieux de la planète ont répondu à cet appel, parmi lesquels Zaha Hadid, lauréate du prix Pritzker en 2004, Jean Michel Wilmotte, concepteur entre autres de l’Allianz Rivera à Nice et du Musée d’art Islamique de Doha, Mario Botta, concepteur de la Cathédrale d’Evry et autres édifices à caractère religieux, ou encore Gaston Valente et Paolo Portoghesi, bâtisseur de la mosquée de Rome en 1974.
Ce fut finalement le projet de Paolo Portoghesi qui fut retenu pour sa pertinence. Celui-ci allie subtilement Orient et Occident, dans un bâtiment où des pierres blanches de l’Atlas marocain côtoient le grès rouge d’Alsace, et où l’artisanat marocain représenté tant par la plâtrerie que le zellige est en pleine harmonie avec une architecture occidentale moderne.
La grande innovation introduite par l’architecte dans cet édifice notable est l’absence de piliers intérieurs pour soutenir la coupole qui pèse tout de même 135 tonnes pour 20 mètres de haut et 16 mètres de large. Reprenant une technique utilisée pour la construction de ponts suspendus, celle-ci est supportée par un système complexe de piliers extérieurs et de tirants aériens. Cette disposition originale et singulière offre une vue dégagée imprenable sur tout l’intérieur et donne au visiteur l’impression d’être au centre d’un gigantesque arc de cercle qui laisse apparaître une fresque en faïence composées d’un demi-millions de pièces taillées, peintes et posées à la main par des artisans marocains. Celle-ci est surmontée de sculptures de plâtres dans lesquelles des versets du Coran ont été sculptés à la main en calligraphie de style koufique.
L’édifice étant situé en bordure d’une rivière, Paolo Portoghesi a voulu donner une dimension florale au bâtiment. Ainsi, vue de l’Ill, le bâtiment est semblable à une fleur en train d’éclore et rappelle certaines mosquées malaysiennes construites au bord de l’eau. Selon cette lecture, le dôme de cuivre est semblable à un bourgeon et les huit piliers tournés vers extérieurs à des pétales. En cela, l’architecte a travaillé sur la forme d’un « dôme d’oignon », élément architectural que l’on retrouve tant dans l’architecture moghole et du Sud Est Asiatique que dans le monde Orthodoxe.
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